Pourquoi le pain est sacré au Maroc (et jamais à la poubelle)
Pourquoi le pain est sacré au Maroc (et jamais à la poubelle)...
Pourquoi le pain est sacré au Maroc (et jamais à la poubelle)
Au Maroc, jeter du pain est presque un sacrilège. Ce geste, pourtant anodin ailleurs, suscite ici malaise, blâme ou indignation. Pourquoi ? Car le pain n’est pas qu’un aliment : c’est un symbole, un héritage, une bénédiction.
Pain et spiritualité
Dans la tradition islamique et marocaine, le pain est un don de Dieu. Il représente la subsistance, le fruit du travail, la baraka. Avant de manger, on dit souvent “bismillah”, et s’il tombe au sol, on le ramasse, on le baise, puis on le repose avec respect. Ce geste, simple mais puissant, traduit une connexion entre foi et nourriture.
Pain et mémoire collective
Les anciens racontent des périodes de famine, de sécheresse. Le pain, même dur, était précieux. On le ramollissait à la vapeur, on en faisait des soupes, on l’utilisait même en soins traditionnels. Cette mémoire a forgé une conscience collective, où le gaspillage est mal vu et souvent puni par la honte familiale.
Les gestes de respect
On ne met jamais le pain au même endroit que les déchets. Il est posé sur une nappe propre, donné aux animaux ou offert aux passants. Certaines familles le laissent sur le rebord de la fenêtre ou suspendu dans un sac pour les nécessiteux. Dans les campagnes, on garde même les miettes pour les poules ou les brebis.
Transmission et valeurs
Ce respect du pain est enseigné dès l’enfance. Une gifle douce pour un enfant qui marche sur un morceau de khobz, un rappel lors des repas de famille, une grand-mère qui raconte l’histoire du jour où elle a pleuré en voyant du pain par terre. C’est un geste d’éducation autant que de foi, une manière de transmettre humilité, gratitude, et partage.
Pain du quotidien, pain des fêtes
Le pain marocain n’est pas toujours rond et simple. Il peut être garni, feuilleté, beurré, enrichi de graines ou de semoule. Il est présent dans toutes les fêtes : pain sans levain à l’Aïd, kesra de l’hiver, batbout farci du Ramadan. À chaque moment de vie, un pain existe pour l’accompagner.
Anecdotes et proverbes
Un proverbe populaire dit : “El khobz ma fihch l3ar” (le pain n’est jamais honteux), soulignant la noblesse du simple. D’autres disent : “Li l9a Lkhobz, ma ymoute ji3ane” – Celui qui trouve du pain ne mourra jamais de faim.
Même dans les prières populaires, on demande à Dieu de “ne jamais couper la route du pain”.
Lien avec la charité (sada9a)
Distribuer du pain, même sec, est vu comme une sadaqa, une aumône simple mais puissante. Dans certaines villes, des fours collectifs ou des boulangers ont des corbeilles spéciales où l’on peut laisser son surplus pour les plus pauvres.
Une conscience moderne
Dans un Maroc en mutation, le respect du pain demeure. Même les jeunes urbains, entre fast-food et boulangeries design, continuent à considérer le pain comme un bien précieux. Des campagnes locales incitent à ne pas gaspiller, et certaines écoles apprennent aux enfants à réutiliser le pain dur en cuisine.
Le pain est sacré au Maroc car il incarne beaucoup plus que de la farine et de l’eau. Il est mémoire, dignité, lien social, foi, héritage. Il est le fruit de mains laborieuses, de prières murmurées, de gestes transmis de génération en génération. Dans un monde où tout se jette, le Maroc rappelle que certaines choses méritent encore d’être honorées.

